Hellfire - Keith

« Tu verras, ça va bien se dérouler. Ce n’est qu’une mission de plus, t’as pas à t’en faire. Et puis c’est bien pour ça que t’es encore dans le coin, non ? »
Les pieds dans la neige de Biélorussie, un lourd manteau piqueté de givre sur lui, Fabien trace sa route au coeur des steppes blanchies par le mois de Janvier. La température avoisine les -7°C et la poudreuse sous ses pieds craque agréablement. Il est seul dans cette immensité désertique. A des kilomètres à la ronde il n’y a rien, uniquement de lourds sapins sombres retenant les quelques rais de la lune giboyeuse, éclairage presque malsain, et la route. La putain de route verglacée de béton fissuré où par chance une voiture passe une fois toutes les heures. La route sur sa gauche et la forêt sur sa droite. Les pieds dans des bottes en cuir imperméabilisé et ensorcelées – ou peu importe l’adjectif qu’on leur collerait aujourd’hui – et les doigts curieusement nus, il est une bien curieuse vision cette nuit. Un gars qui chemine seul sur des kilomètres, trace un chemin sans s’en faire.
Trace ? Vraiment ?
Fabien marche. Ses chaussures s’enfoncent dans la neige, la creusent un peu plus – mais ce sont dans les pas d’un autre qu’il avance aujourd’hui ; le trajet sans carte qu’il suit est celui d’un jeune homme porté disparu il y a de ça trois semaines.

A l’origine – la véritable raison de son passage sur le vieux Continent et aux alentours de Minsk plus particulièrement, le brun est là pour une mission à la con, le genre de trucs qui le vannent plus que de raison. Il reconnaît sans problème que tout un chacun à sa place sur Spear et au sein de leurs phalanges… Mais quand on lui a demandé d’être le capitaine « spécial » des Loups, le héraut de Xolotl n’entendait pas vraiment ça comme ça.
Sa mission première n’est plus de combattre – ça, on le laisse aux autres. Fabien Thomas, héraut, est spécialement envoyé sur le terrain à chaque fois que la menace vient d’outre-tombe pour la simple et bonne raison que son passif lui permet plus aisément de s’en occuper. S’assurer qu’ils ne fassent pas de conneries et que leurs cibles sont belles et bien mortes. Histoire de.

Les âmes viennent à Fabien. Il les entend et les voit errer sur terre – et doucement ça lui vrille l’esprit. Il les voit et, lorsqu’elles savent entendre raison, il les guide vers le repos aussi bien qu’il le peut.

C’est son devoir.
Ca ne veut pas dire qu’il apprécie le faire.

Ses pas l’ont porté jusqu’à une cabane de chasseurs à l’orée de la forêt, là où les branches virides se teintent de bleu sous la lourde couche de neige. Son pouvoir sent bien quelque chose, autour d’ici. Quoi exactement, le héraut ne saurait le dire. Un fantôme ? Un zombie ? Un rat-garou frankenstein ? Son sixième sens ne lui apporte aucun indice là-dessus.

Au bout de ses doigts nus surgit une flamme qui vacille dans le vent glacial. La porte s’entrouvre lorsqu’il la pousse, une odeur terrible l’assaille.S’il le trouve pas l’âme dans ce bordel puant, au moins son corps doit se trouver quelque part dans le coin, ou ça ne serait pas si horrible. Un lit rouillé dont les lattes sont en morceaux sur le sol, un tapis moisi, une tapisserie qui part en lambeaux. Rien ni personne, excepté la forme vaguement humaine prostrée dans un coin. « Et merde. »

La lumière au bout de ses doigts s’évapore dans une fumée disgracieuse qui fleure bon le souffre et il se saisit immédiatement de son sabre. Un bon coup et il n’y paraîtra plus, la chose qui rapidement se redresse et lui fonce dessus ne peut pas résister à l’orichalque.
Sa lame contre sa peau ne fait rien, n’entaille rien – ou alors Fabien ne frappe pas assez fort. La lame s’enflamme et s’enfonce dans le corps en fumant. Rien.
(Il entend son âme tourbillonner et hurler à la libération tandis que la bestiole continue ses assauts, elle-même armée d’une vieille épée. Il l’entend et il voudrait l’aider à sortir.)

Les températures en cette saison étaient glaciales, autant dire que la mort rôdait pour qui se risquait à dormir dehors étant donné notre destination. De Roma j'avais pris l'avion pour atterrir à Minsk, j'avais pris de quoi ne pas souffrir du froid. Des vêtements sombres, comme toujours. De là j'avais emprunté la voiture qui m'étais destinée, une voiture tout terrain, qui évitait quelques mauvaises surprises sur ce genre de terrain, mais il fallait conduire prudemment. De nombreuses disparitions avaient étés recensé dans les parages au cours des cinquante dernières années, si au départ on pouvait se questionner sur la nature du monstre dont il s'agissait... Je me foutais bien pas mal de ce que j'allais rencontrer. Homme ou monstre, il ne repartirait pas.

L'inquisition... J'y étais depuis que j'étais tout gosse. Gamin orphelin de père, avant ma naissance, et de mère, pas de bol, juste après ma naissance, j'avais vite été placé dans un orphelinat en Allemagne, avant d'être adopté, relativement rapidement. J'étais âgé d'à peine un mois, donc nouveau né, une des cibles qui "marchait" parce que, encore petit, les lois de l'adoption, ça marchait comme ça, plus t'étais p'tit, en bonne santé, jeune, plus t'avais de chances de te faire adopter, plus tu grandissais, plus tes chances s'amenuisaient. A 14 ans, on estimait que c'était foutu pour toi. Je parlais en connaissance de cause. J'avais déjà adopté deux gamins, l'un, à l'âge de 10 ans (il en avait aujourd'hui 16) et l'autre, de 14 ans en avait aujourd'hui 18, les deux, je les croisais en coup de vent. Ils suivaient chacun leur voie au sein de l'Inquisition, j'en étais fier. J'étais célibataire, et ça importait peu. Je savais ce que ça faisait de pas avoir d'attaches, d'attendre... Rien de la vie. J'avais pas eu à vivre longtemps à l'orphelinat, j'en gardais aucun souvenir, et j'avais fini dans une famille aimante à Nemi jusqu'à mes 6 ans, mais j'avais toujours contact avec mes parents, et j'avais décidé d'offrir une chance à des gamins qui n'en avaient pas eu. Je faisais partit de la branche "combat" depuis mes 12 ans, et aujourd'hui j'étais en mission seul. Je marchais mieux en solitaire, et de toute façon personne voulait, de gaité de coeur, se risquer à travailler avec moi. J'étais du genre sérieux, réfléchis, astucieux, et surtout très sévère avec moi même.

J'avais logé quelques jours, le temps de mon enquête, auprès d'un sympathisant à la cause, il m'avait abreuvé de légendes locales. Je devais avouer que je n'étais pas parti sans préparations, j'aimais savoir où je foutais les pieds, et j'aimais pas débarquer avec pour seul attirail... Ma bite et mon couteau. Non mais franchement... Y'avait juste les triples buses qui faisaient ça. Enfin bref j'avais donc foule de légendes en tête pour expliquer ces disparitions, et j'avais, dans mon sac, à portée, quelques petites reliques (pitié faites que ça m'explose pas à la gueule) capable de me garantir, pourquoi pas, une possible chance de m'en tirer. On savait jamais vraiment si on reviendrait vivant ou pas. C'était notre vie. Je gare finalement ma voiture non loin de l'endroit où les victimes (trop nombreuses) ont étés vues pour la dernière fois. Lunettes sur le museau, bonnet noir vissé sur le crâne, Un masque tout aussi sombre, arborant une mandibule de squelette pour seule fantaisie la décorait. J'étais armé d'une veste dont l’intérieur était rembourré de plumes, pour garder la chaleur, d'un pantalon, seconde peau, thermique, sur lequel j'avais enfilé un autre pantalon, droit, noir. J'enfilais mes lunettes à vision nocturnes. Elles étaient reliées également à la base de donnée de l'inquisition. La chasse pouvait commencer. J'errais dans cette route, abandonnée de tous, et pourtant... Pourtant il y avait des pas. Là où seules les voitures passaient, là où la zone était trop loin de la ville et de la vie en générale... ça me semblait être un bon début. Arme au poing (sorte de pistolet doté d'un canon dont l'ouverture devait faire la largeur de mon poing, j'avais glissé de grosses sphères en verre, contenant un liquide verdâtre. Parfois il était vert, parfois violet, en réalité ça dépendait de la fantaisie de nos petits chimistes. J'avançais, à pas de loup, traquant ma proie, et espérant, dans le fond, qu'il n'avait pas mit la patte sur une nouvelle victime. Soudain... J’aperçois ce qui semble être une cabane de chasseur, et vois, en relevant les lunettes de mon museau, une lumière filtrer à travers les fenêtres crasseuses. Bingo. J'avançais, prudent. J'allais peut être pouvoir rentrer à temps à Nemi pour assister à la cérémonie de fin d'apprentissage de Celeste. Le jeune homme était dans la branche des renseignements et travaillait dur, je le savais. Je déverrouillais mon arme, ouvrant la porte d'un puissant coup de pied, mon arme toujours dégainée, mes mains libres de s'en servir. J'avais remis mes lunettes sur le nez et j'avais observé les deux hommes. Une exclamation de surprise suivi d'une succession de jurons en italien m'échappèrent. Avant que je n'observe la scène, un mec, sabre enflammé à la main (sérieusement il se prenait pour un jedi ou quoi ? vu l'allure antique de son arme et la manifestation des flammes, ça puait le héraut à plein nez, j'en avais vu peu dans ma vie.) en menaçait un autre, qui avait l'air, pour le coup, beaucoup moins frai, et d'allure beaucoup moins humaine.

"Grouilles toi de te casser de ma trajectoire Yoda ou c'est toi qui risque de t'en prendre plein la gueule."

J'avais décidé de m'occuper de la monstruosité en premier lieu, l'autre... On aviserait une fois la menace neutralisée. Un doigt sur la gâchette, les deux pieds fixes sur le sol, le recul tout calculé, j'appuyais, un bruit sourd propulsant la boule en verre qui avait fini par se fracturer contre la créature, j'avais sorti une deuxième boule, violette cette fois, et avait tiré tout aussi sec. Les bulles, éclatées, laissaient échapper une solution qui devint un amas de mousse, escaladant la créature, pour finir par se figer. Durcir. Bon courage pour se libérer de tout ce merdier. J'appuyais sur quelques boutons de mes lunettes, m'approchant de la créature en faisant attention, le désarmant au passage en lui retournant purement et simplement le pouce. Je portais des gants, et sa peau me semblait dure comme de la pierre. Cela me disait vaguement quelque chose. Je parcourais les lignes des dossiers que j'avais numérisés avant de partir, cherchant les équivalence sous les grognements et les insultes dans une langue dont j'ignorais tout, de la bête. Braquant mon flingue en direction de l'autre mec dans la pièce.

"Laisses moi me concentrer, tu bouges, j'te fume trésor."

L’épée enflammée est à peine sous le contrôle de Fabien : comment en serait-il autrement ? Il génère le feu, il ne le manipule pas encore assez bien ! Les flammes lui échappent et s’éteignent à l’intérieur du corps du Fext en crachotant lamentablement. Sa lame ignifugée par son cousin n’a, heureusement, rien. Alors, rageur, il l’enfonce à nouveau : les flammes courent le long de ses manches carbonisées, bras nus dans la cabane abandonnée et la peau  enflammée il poignarde en vain la prison de chair putréfiée et glacée d’une âme dans la tourmente. Ainsi finissent les morts d’une guerre sans nom.
Il rage, il hurlerait fort, l’insulterait dans sa langue italienne de naissance si la porte derrière lui ne venait pas de s’ouvrir et que quelqu’un ne venait pas de lui piquer l’opportunité d’engueuler l’abomination en rital.

« Yoda t’emmerde ! » est la réponse la plus naturelle qui s’échappe des lèvres du héraut tandis qu’il s’éloigne d’un souple saut – le héraut de Xolotl a encore un bon jeu de jambes pour son âge avancé. Son arme reste fichée dans la poitrine du Fext sur le moment. Merde. Il la récupérera après.

Son bouclier se matérialise alors que Fabien touche à peine sa ceinture. D’une taille plus qu’honorable, il devrait parer n’importe quelle balle venue de cet imbécile… Jusqu’à ce qu’il rende l’âme. « Ca sert à rien de lui tirer dessus ducon, c’est pas le genre de trucs que tu peux tuer avec tes balles. » raille le brun tout en se protégeant. On lui a dit de se taire ? Et puis quoi encore ? (L’italien entre ses lèvres est d’un doux-amer violent, un relent de vomi joue au fond de sa gorge et il a l’impression de sentir son âme pourrir au fond de lui. ) Doucement, derrière son bouclier, le héraut cherche ses poches pour les quelques fléchettes de verre qu’il a emportées – ce ne sont pas de vraies fléchettes et ce sont juste des ampoules, mais on fait avec ce que l’on a, d’accord ?

A dire vrai, pour se débarasser d’un Fext, évitez de lui lancer des ampoules à la gueule.
Ca marche pas.

Les échardes se fichent dans la peau de la créature et  celle-ci hurle sans que Fabien n’ait rien à y redire ; les cris cessent et le brun se met à grimacer. Sortez-moi. Aidez-moi. Une litanie aliénée, pourrie de rancoeur et de haine, tourne en rond dans le crâne de l’abomination immobilisée. « Laisse-la moi. Tu sais pas quoi y faire… Mon coeur. »
Ca lui apprendrait à l’appeler Trésor.

Toujours planqué derrière son bouclier, Fabien se rapproche d’un pas mesuré : l’Inquisiteur ne tirerait pas sur un mec désarmé, fût-il un héraut, pas vrai ? Ils valent mieux que ça. « Faut pas le buter de suite, il reviendra que plus fort pour terroriser la population. Il faut le mettre en cage quinze jours durant et le nourrir de harengs avant d’y mettre le feu, puis éparpiller ses cendres sur la mer Baltique. Au cas où ça foirerait, il faut que tu évites de lui tirer dessus comme un débile profond ! »

Une réponse... Elle était loin du râle de la créature, à peine humaine, ça oui... Une réponse cinglante, prononcée d'une voix forte, grave qui m'arrache un sourire alors que je hausse un sourcil.

"J'croyais que les Jedi ils étaient pacifistes ! Excuse moi ! J'suis confus." Ce n'était absolument pas le cas, et ma voix avait pris un ton plus que moqueur lorsque je parlais à cet homme. Il n'était pas rare, en chassant les monstres, de tomber sur les hérauts. "Abominations" selon les autres. Pour moi ils pouvaient être des outils précieux pour s'en sortir. C'était ensuite à nous de décider si on en avait toujours besoin ou pas.

A nouveau, sa voix se fait entendre, et je fronce les sourcils, avant d'éclater de rire. Y'avait pas à dire, pour un maudit héraut, il avait du répondant, et pas qu'un peu. Ma soeur m'avais toujours dit qu'on ne devait pas tuer les gens à vue de la sorte, qu'on pouvait pas les anéantir si ils n'avaient rien fait de mal. Si à une époque j'en avais rien à foutre, depuis sa mort, j'avais tendance à penser les choses autrement et à me plier à son ultime précepte.

"Parce que tu crois que je tire ces trucs pour le tuer ? Non. Je suis un inquisiteur, mais j'suis pas non plus demeuré, tu sais vous êtes pas les seuls à affronter des monstres depuis des années. On a nos sources et nos écrits. Je veux juste l'immobiliser, tu crois quoi ?"

Le brun lance alors des ampoules à la gueule de notre créature, mais ça ne fait rien d'autre qu'engendrer fureur, plainte et colère, je secoue doucement la tête.

"J'vais te la laisser et quoi ? Tu vas continuer à lancer des ampoules dans l'espoir d'avoir une bonne idée ? C'est un peu con comme technique. Alors que moi... Hé bien j'ai eu quelques informations d'une vieille famille serbe et... Un petit joujou qui pourrait être pratique. Admire mon chou."

Tant qu'à faire, autant continuer avec les surnoms débiles. Je m'accroupis pour sortir la vieille boîte en bois qu'on m'avais remis, et me fige quand il se rapproche de moi pour me parler, je l'écoute avec attention, avant que mon expression ne se modifie et que je n'arbore une expression des plus blasées.

"Du hareng... ? Tu crois que j'vais les sortir d'où tes harengs ? De mon cul ? T'as d'autres absurdités du genre ? Ah y'a de l'imagination, mais rien de plus ! Regardes crétin, tu crois que j'suis juste là pour donner des coups de pétards comme un demeuré sans prendre en compte ce que j'ai en face de moi ?"

J'ouvrais finalement le coffret, dévoilant un vieux pistolet, un sac de poudre ainsi que des balles. Leur particularité venait de leur transparence parfaite. Elles étaient polies et je retirais d'un geste la poussière qui s'était accumulée. J'en attrapais une entre le pouce et l'index.

"C'est l'une des dernières armes capables de chasser ces bêtes. J'ai dû aller à Karljevo et que j'ai dû graisser quelques pattes. Si tu savais comme c'est difficile de persuader les gens de se débarrasser de leur antiqué. Ils y sont profondément attachés. Comme si... Comme si ça pouvait changer quoi que ce soit, ce que tu possède, lorsque tu meurs, tu finis par être égal au premier quidam, peut importe ce que tu possède."

Je place une balle dans la chambre, et glisse de la poudre dans l'arme.

"J'peux tirer ou je dois attendre que tu répandes du hareng sur le sol trésor ?"