Netflix & -dont- chill [Pat-Malik]

Tu as reçu un appel à dix-sept heures trente qui a changé ta vie. On pourrait commencer comme ça. Vu comment tu t’agites dans la maison à moitié habillé, le t-shirt jeté en travers de ton épaule parce que tu n’as pas encore eu le temps de l’enfiler, la nouvelle doit être au moins extraordinaire. Une somme monstrueuse qui te tombe dans la poche, ton aide précieuse pour appréhender l’autre Inquisiteur chelou qui te trotte dans la tête de temps à autre peut-être… Ou la mort de Regis.
Pas sûr que l’une de toutes ces nouvelles ne justifie que tu sois entrain de virer tous les bouquins d’Ariel de la table basse ainsi que vos bougies qui enfument encore la pièce (même si la mort de Regis inviterait à faire une immense soirée, c’est violent mais justifié. ) Tu redresses les coussins, plies les plaids que tu as sous la main pour les laisser à portée si jamais, tu sors de vos tiroirs un plateau en verre un peu poussiéreux mais ça fait chic, ça fait propre et infiniment plus classe que vos affaires qui traînent dans tous les sens. Un coup de chiffon – tu es super doué pour te débarrasser de la poussière, c’est devenu un de tes super-pouvoirs avec le temps. Infiniment plus précieux que de te changer en Penelope Cruz – et tout semble bien.
Fiou.

Tu jettes un œil à ton portable – dix-huit heures cinquante – et tu réalises que si jamais il est un tant soit peu en avance tu vas te retrouver à l’accueillir totalement débraillé. Tes gestes sont frénétiques tandis que tu enfiles ton t-shirt (à l’envers, et tu dois t’y reprendre à deux fois) et que tu te recoiffes vaguement dans le reflet de la télé du salon. Pour la serpillière soyeuse qui te sert de chevelure il n’y a rien à faire.
Là, tu es prêt. Là, tu reprends ton souffle pour la première fois depuis une heure vingt. Il faut dire que tu n’es pas habitué aux personnes qui te préviennent si peu de temps avant… Et encore moins quand elles t’appellent alors que tu es entrain de clapoter dans ton bain et que t’avais pas prévu grand-chose de ta soirée. Bah là vous serez deux à ne pas faire grand-chose de votre soirée.

Tu te penches sur la cage de vos animaux de compagnie et leur souffles : « Seb, Achille, vous êtes sages ce soir. Sinon je serai triste. Bouhouhouuuu, tu fais mine de pleurer pour leur transmettre l’émotion et l’idée derrière. Gentils chinchillas. »

Ariel ne sera pas un problème, tu lui as dit que Malik passait la soirée ici. Plus exactement, tu as débarqué couvert de mousse et d’une serviette dans sa chambre en hurlant que Malik passait et que tu paniquais parce que tu n’avais pas le temps de t’habituer à la situation. Tu es le plus parfait des colocataires, Patroclus. On se demande pourquoi tu n’as jamais pu contrôler tes dons.

L’entrée sonne et, pieds nus, tu vas ouvrir avec un sourire pour laisser ton invité surprise rentrer. « Hey. » Tu dois avoir l’air débraillé. Tu dois sentir mauvais, tu as piqué le déo d’Ariel et t’as pas l’habitude de le porter avec ce parfum. Tu dois avoir les cheveux dans tous les sens et l’air d’un gamin totalement pété. La baraque doit être ridicule, il va se moquer – c’est Malik et tu sais qu’il pourrait le penser sans le regretter. (C’est comme Raffaele. Tu l’aimes – plus que Raf, c’est certain. Différemment, aussi. - mais il a ce caractère bien particulier. ) « Wow, mais fallait rien amener, t’es dingue ! Tu lui dis en contemplant les sacs sur la table un peu bancale de votre cuisine. J’veux dire, merci beaucoup. Mais fallait rien amener, t’es trop sympa. »

Tu es tout de suite plus à l’aise une fois qu’il est là. Le stress de la préparation catastrophe ne s’est, certes, pas totalement évanoui, mais maintenant que Malik se trouve vraiment ici, tu sais que tu ne peux plus reculer. Tu fronces les sourcils quand il mentionne l’idée de cuisiner quelque chose et tes bras se croisent sur ta poitrine. « Tsh. Tu veux me mettre en colère ? T’es invité, pas question que tu cuisines pour nous deux. Si y a une personne qui doit se mettre en tablier ici c’est clairement moi. Manière de parler, t’as jamais vraiment mis de tablier, tu préfères en foutre de partout. On va commander, c’est vraiment pas mauvais autour en plus. Sauf le gars des pancakes. Je sais vraiment pas comment il réussit à rater des pancakes. C’est n’importe quoi. Tout en parlant, tu attrapes deux grands verres dans le placard à côté de toi, un petit bol que tu remplis de glaçons au cas où il y en aurait besoin. Tu veux boire quoi, hm ? » sans aucune honte tu fouilles dans ses provisions pour en sortir les bouteilles, y ajoute celles de Pepsi et de jus de canneberges que tu as acheté sur un coup de tête et dont tu ne peux plus te passer. (A t’agiter autant, à vibrer autant, tu évacues l’excitation de la soirée. Tu n’as pas eu le temps de vraiment te poser encore et de le regarder, vraiment. On va se poser au salon, la télé est meilleure que celle d’en haut et puis y a plus de place. »

Les bras chargés de bouteilles et l’air radieux comme si tu t’étais enfilé le bocal de bonbons que Raf t’a fait mettre de côté pour lui dans le coin de ta chambre, tu es presque calmé, face à Malik. Tu n’es pas vraiment sûr de ce que tu ressens pour lui à dire vrai : il te fait courir dans tous les sens et t’inquiète dès que son nom est prononcé – t’inquiète parce que tu as peur d’être ridicule ou de décevoir par ta présence insignifiante – mais autrement… Ce n’est pas vraiment comme un ami, à bien y repenser. Tu n’as pas les mots pour ça. Et peut-être ne vaut-il mieux ne pas mettre de mots. « Moi en colère c’est possible et tu ne veux pas voir ça ! » tu lui réponds avec un grand sourire qui pourrait éclairer la pièce. T’as la joie qui irradie par chacun des pores de ta peau, putain, t’as l’impression de suer de la guimauve. (A moins que ça ne soit l’odeur de ton parfum. )
Ta main part à l’aventure pour récupérer le téléphone dans ta poche et tu cherches sur le frigo le petit flyer avec le numéro du mec aux burgers… Et tu l’emportes avec vous et vos bouteilles dans le salon.

A peine posé – et sans que tu aies eu le temps de composer le numéro de votre futur fournisseur en saloperies délicieuses – tu entends le pas dansant de ton paternel dans les escaliers. Ou colocataire. Officiellement le second et officieusement le dernier. Sa main qui se pose sur ton épaule ne t’aide pas du tout à te calmer, et tu marmonnes un petit : « Amuses-toi bien et fais-lui coucou de ma part, mangez pas tout le gateau de minuit et tu m’en ramènes plus tard. » avant d’agiter la main lorsqu’il passe la porte.

La réaction de Malik ne se fait pas attendre et, alors que tu te poses sans cérémonie sur le tapis les jambes croisées, t’es vraiment souple, faut pas croire, tu lèves la tête vers le professeur à tes côtés. Une mèche frisottée se perd devant tes yeux et tu la repousses d’un geste nerveux. Tes doigts se déposent sur tes chevilles croisées. « Ils sont amis, tu sais, je crois pas qu’Ariel ait peur de Raffaele. » tout ça dit avec toute la douceur curieuse que peut prendre ta voix. Parce qu’à tes yeux… On ne va pas se mentir….. Ils sont amis avec des grands guillemets. Un rire clair t’échappe à sa dernière question – adoucit encore les traits de ton visage. « Ah, j’aimerais bien, ça m’éviterait bien des choses je t’assure ! Déclares-tu avec un geste de la main l’invitant à s’asseoir sur le canapé. Toi, tu es bien, sur l’épais tapis. Si seulement… Tu composes le numéro du livreur en tendant le papier à Malik. Tu veux un truc spécifique ? Dis-moi tout. J’appelle. » Résonne la tonalité et la musique d’attente. Tu décroises les jambes, attrapes un verre et le poses sur la table juste devant ton invité, ta main interrogeant successivement chacune des bouteilles.
« Que veux-tu ? » Tu es multitâche quand tu le veux bien. (Toujours au fond de ton oreille la musique résonne.) « Non, le souci avec Ariel et Raf, c’est que s’ils baisaient, Raffaele serait entrain de dire que c’est pas gay tant qu’il n’a pas… Je sais pas, fait ça sans capote ou que sais-je. Tes yeux se lèvent au ciel alors que tu coinces un peu mieux ton téléphone entre ton épaule et ton oreille. Il est persuadé de son hétérosexualité. Comment tu veux qu’il tire un coup quand il est si profondément dans le placard, hm ?! … Non, Jules, pardon, je parlais pas de toi. »
D'un geste tu indiques le menu à son Malik, compagnie d'un soir plus charmante, c'est certain, que Raf.

Tu te détends plus ou moins depuis qu’Ariel est parti. Il faut dire que quand la seule personne responsable, mature et adulte de la maison n’est plus là, tu as l’impression de respirer plus sereinement – d’autant plus lorsque tu arranges une soirée netflix avec un gars qui possiblement te plaît beaucoup. Ton pouvoir reste calme pour le moment à son sujet mais tu attends, boule au ventre, qu’il débarque pour tout envoyer en l’air. Tu souris avec aisance, jonglant entre les boissons, le téléphone, la commande, et hoches vigoureusement la tête à tout ce que Malik te dit.

« Oui, j’suis d’accord.. . souffles-tu avant de te concentrer sur Jules à l’autre bout du téléphone, hurlant à moitié sur son cuistot pas foutu de faire les choses dans l’ordre de ce que tu comprends. Allo, oui. Oui c’est toujours Pat au téléphone, tu m’écoutes ? Nickel, alors je voudrais…. »
Une petite minute plus tard, tu attrapes un stylo à pointe feutre rose dans le tiroir de la table basse pour noter à même ta peau  l’heure de livraison – tu as pris le stylo, pas la feuille.

Sagement, tu reposes ton téléphone en mode vibreur sur la table basse : tu ne comptes pas, petit héraut, y retoucher de la soirée sauf cas d’urgence. Tu n’en as pas envie : pas ce soir. « On est encore là demain si on parle de l’hétérosexualité de Pap – de Raf, tu sais. On peut se prévoir un séminaire de deux jours entiers dans une salle de réunions si jamais, la prochaine fois ! » Tu tentes de blaguer et ton sourire innocent devient espiègle, fragile équilibre entre la gaminerie et la saloperie que tu es. (Personne ne le voit, c’est tout, tu t’entoures de paillettes et de douceur pour cacher la petite merde en manque d’affection. )

Ramenant tes longues jambes vers toi, tu croises un bras pour le passer ensuite autour d’elles afin de les maintenir contre toi. Tu attrapes ta télécommande et lances la télévision, allumes bien vite Netflix pour éviter que le dvd du Livre de la Jungle que vous avez mis la dernière fois ne se lance. Riverdale. Tu n’as pas la moindre idée de ce dont ça parle, tu n’as jamais eu l’envie – ou le courage – de regarder. Ca doit donc être nul – propos appuyé par Malik. Tu tournes la tête vers lui. Durant une poignée de secondes tu as un petit problème au cerveau et au coeur : les deux s’emballent, t’entraînent, se voilent et s’encrassent avant de repartir décalés. T’as un peu chaud aux joues et ton sourire qui grandit, bouffe tout ton visage en réponse à celui de Malik. Illumine le ciel de nuit de tes yeux. (Tu attends la démangeaison de ton corps, la poitrine qui enfle ou les jambes qui raccourcissent, les bras qui forcissent ou la taille qui se réduit. )
«  Ca faisait longtemps que je me demandais si je t’avais déjà vu sourire pour de vrai. Je peux cocher ça sur ma bucket list, dis donc. Tu rigoles pour cacher les rougeurs, tu détournes ton attention sur l’écran et zappes jusqu’à trouver Riverdale. Papillon que tu es, tu volettes d’un sujet à l’autre et préfères ne pas te poser. De peur d’être attrapé. J’ai jamais vu. Je lance ? » Demandes-tu en amenant le curseur sur le « play » de l’écran.

Une dernière chose te frappe et tu te redresses à la vitesse de l’éclair – ahah. « La lumière ! Bouge pas ! » Tu files jusqu’au bouton et plonges la pièce dans une pénombre bien plus confortable pour regarder n’importe quoi – hormis pour regarder l’autre. C’est peut-être mieux pour toi. Tu regagnes ensuite le canapé où tu t’assois en tailleur, pas trop loin de ton invité, mais pas trop trop près non plus. Faudrait pas le mettre mal à l’aise. « Voilà. On peut lancer. » Et d’autorité tu appuies sur le bouton play.

Tu secoues la tête quand Malik te dit que t’exagères. « Sûr et certain de jamais vous avoir vu sourire, m’sieur. Ca veut dire que je ne mérite pas ton sourire ? Comment je dois le prendre ? » La moue joueuse de ton visage montre bien que tu ne lui en veux pas de ça : tu mérites pas grand-chose, pour être honnête. Tu espères tout de même réussir à lui arracher au moins un autre sourire avant la fin de la soirée. Ca serait fantastique. (Et si tu t’habitues, peut-être que ton coeur ne battra plus si vite. )
Ca vient vite, son second sourire. C’est complètement raté pour le coup. Il y a quelque chose dans son sourire qui te fait totalement virer et qui pourrait, tu le crois, attirer cette merde de pouvoir, démonter ton apparence pour la reconstruire à ses désirs en faisant fi des tiens. Mais aucun picotement chez toi – alors tu te dis que c’est juste qu’il est super beau.
« Je te dirais rien, sinon tu vas me gâcher mon tour du monde avec mes parents ! » dis-tu en lui tirant la langue – parents voulant bien entendu dire Ariel et Raf, lesquels n’étaient pas vraiment au courant que tu te référais à eux de cette manière. Enfin…. Surtout Raf.

A bien y repenser, peut-être que t’avais pas besoin de plonger la pièce dans la pénombre pour ce genre de visionnage. Mais t’avais envie. C’est plus intéressant, t’as pas le reflet dégueulasse de la lampe sur l’écran et… C’est un peu plus intime, entre vous. Pas que t’ai envie de quelque chose d’intime, franchement ! (En plus la série ne s’y prête pas trop, les films nuls c’est clairement plus des cockblock qu’autre chose) « J’avais envie. Prout, lui fais-tu remarquer en articulant bien le p r o u t avec une petite moue à la fin. Pi c’est cool comme ça, je te vois pas si jamais tu bâilles. Y a des gens qui aiment pas qu’on les voit bailler, tu savais ? » Tu balances de la merde sans même savoir si il y a un fond de vérité à cette histoire. Sans doute : dans le monde y a plein de gens gênés par des trucs stupides, leur salaire, leurs pieds, leur nez, leurs cadavres dans les frigos….

Confortablement posé tu attrapes un coussin pour le serrer contre toi, par pure habitude. Tu n’aimes pas avoir les bras vides quand tu regardes quelque chose, tu bouges trop pour ça. Sinon tu vas changer de position quinze fois pour finir par mettre la tête sur la table et les pieds sur l’accoudoir du canapé – c’est déjà arrivé et tu y as gagné un torticoli et un joli bleu sur la hanche qui a duré trois belles semaines.
Au moins Malik ne s’est-il pas trompé en te promettant un truc nul. C’est véritablement à chier. A la limite, certainEs acteurices sont potables, dans le sens où tu gardes en mémoire leurs visages pour les chercher plus tard sur le net. Mais concernant le reste, ya pas un truc pour rattraper l’autre. Et t’es loin d’être cinéphile. « Nan, j’aime bien regarder des trucs nuls aussi. Je suis pas bon en critique, donc je risque juste de dire ‘mais c’est laid!’ et ‘ça n’a pas de sens !’, avoues-tu en pointant l’écran pour illustrer tes propos en souriant. Mais c’est cool. Et c’est fort aimable à toi de ne pas vouloir me manger. Et puis le cannibalisme c’est pas super conseillé. Je crois. Après quelques secondes de réflexion, tu ajoutes : tu crois qu’on peut devenir cannibale parce que notre divinité a mangé un membre de son espèce ? »et d’un coup t’as l’air vachement plus angoissé. C’est pas que Zeus est, en plus d’un acariâtre mari infidèle perpétuellement rut, un cannibale. Enfin, en regardant les faits, il a tout de même mangé Métis, sans compter que le cannibalisme est présent dans la famille ... Autant de raisons de commencer à s’inquiéter, pour être tout à fait honnête avec toi-même.

Pour te distraire tu attrapes ton téléphone avec un soupir. « Dans quelques minutes, c’est pas trop précis, mais il est en chemin. Je vais aller chercher des assiettes, tu bouges pas. » Tu te redresses et poses sur le canapé le coussin – tu as laissé une empreinte déjà sur le canapé. A mi-chemin de la cuisine, tu te retournes vers Malik. « Tu manges ton burger avec des couverts, toi ? » Faut bien être sûr, quoi. Tu n’as pas le temps d’entendre la réponse que votre sonnette résonne. Tu sautilles alors jusqu’à la porte d’entrée, attrapes ton portefeuille sur le buffet et ouvres la porte. « Voui, c’est pour nous ! » Tu souris grandement à la livreuse – une petite nouvelle que tu ne connais pas, ça change agréablement ! « Tu sauras que personne ne sonne, ici, ça réveille les chinchillas. Tiens, pour toi. » Tu lui payes rapidement la somme convenue, plus un joli petit pourboire. Elle est nouvelle, et bien gentille. Et presque pas en retard : dans l’air frais de la nuit, ça fume.

La porte refermée, tu viens déposer précieusement le sac sur la table. « Personne sonne, c’était une nouvelle. Elle était choupie. » tu déclares à Malik avant de lui tendre sa commande, encore debout. Tu lui gâches un peu la vue de la télé, mais il ne rate pas grand-chose donc bon… « Assiettes, couverts ? Que je me pousse, peut-être ? » Tu te décales en parlant tout en sentant bien que tu es de trop. Tu rends la soirée lourde et chiante, Pat. Tu l’as compris. Tu t’en voudras plus tard.

Tu poses des questions à la con et tu te retrouves immédiatement avec le nez dans la merde puante de ton inculture. C’est pas compliqué en même temps : t’as pas beaucoup écouté les cours quand tu y étais et t’étais bon que là où ça t’intéressait. La mythologie… Les autres t’ont plu, la tienne… Bon. Une conquête de Zeus. Deux conquêtes de Zeus. Quinze. A la cinquième t’écoutait déjà plus et ton professeur avait envie de te balancer par la fenêtre quand il te reprenait parce que monsieur Wells, vous pourriez au moins vous faire discret lorsque vous ne portez pas attention au dieu qui vous a fait l’honneur de vous choisir comme héraut. Le même genre de mec qui s’extasiait quand tu rentrais en classe avec une gueule différente et que tu saignais sur la table à cause d’une fille qui te plaisait. En somme ? Un fervent Héraut aux pouvoirs si insignifiants qu’ils le condamnaient à rester sur l’île pour se faire bien voir de la divinité qu’il servait.
Mais quand Malik t’en parles, tes yeux s’allument et tu écoutes. Ton air angoissé s’évanouit un peu et tu te prends à hocher la tête et à aimer sa voix. Tu l’entends vraiment et même si la traduction par-dessus est étrange, tu la trouves belle. (L’autre con t’a sans doute légué aussi un talent à tomber sous le charme de quelqu’un bien trop aisément. ) « Et puis manger les gens sans leur accord c’est pas génial, tu sais. » conclus-tu avec ce sourire que tu portes trop bien pour cacher ton trouble.

La nourriture apportée et distribuée entre eux, une assiette récupérée pour ton invité, tu reprends place à côté de lui et déballes ton propre burger en souriant. Avec délice tu commences à le manger : ça tombe super bien, ton ventre semblait trop vide jusque là. Tu es justement entrain de mâcher quand il te lâche une saleté un peu trop loin d’être innocente et que… Tu t’étouffes, purement et simplement. D’un geste t’attrapes ton verre et le descend pour tout faire passer avant de te mettre à rire. « J’me doutais bien tu sais. Purée, tu m’as fait rire j’ai cru j’allais étouffer. » Tu t’en es foutu un peu de partout d’ailleurs : le pull, le jean, de petites tâches qui constellent tes fringues et qui te font rougir de honte dans le noir. Tu jures à voix basse – quelque chose comme par les boules de Bitenfoudre, j’ai le seum – avant de te pencher par-dessus l’assiette de frites de Malik pour lui voler une de vos serviettes et essuyer ce que tu peux.

(T’en aurais les larmes aux yeux, t’es tellement fragile, bébou, tu fous tout en l’air quand tu voudrais que tout se passe bien. T’as l’air d’un gars qui n’est pas foutu de manger proprement, qui n’a pas de culture, mythologique ou cinématographique. T’as l’air d’un con, bébou. Tu mérites pas son amitié ou sa présence.)

Heureusement, une scène particulièrement ridicule joue sur l’écran devant vous, et tu détournes la tête. « Jpense que je vais m’étouffer à nouveau, mais de honte par procuration. » déclares-tu calmement, te cachant le visage avec une main et ricanant. Plus vite vous vous éloignez du sujet et mieux ça ira. Tu manges un peu mieux maintenant, sans t’en foutre de partout. « Je rejoins ton avis sur la sauce, c’est cher bon. Toujours sans sous entendu. Je sais pas faire de sous-entendu, tu sauras. »
T’es trop con pour ça.
Tu souris dans la pénombre – une vraie gueule de vainqueur angélique. « Remarque, il est mignon le cuistot. Mais bon. Il crushe sur Regis. Je sais pas comment il fait d’ailleurs. »

Tu souris, pris sur le fait alors que tu jures – une habitude plus forte que toi, mais tu te retiens de le faire trop fort en général, ou de manière trop offensante lorsqu’ils sont dirigés vers d’autres. Les autres, bien entendu, n’incluant pas l’autre imbécile céleste qui t’a offert les moins pratiques des dons. Tu hoches la tête et offres un sourire acide – terni par la rancoeur qui cohabite avec la peur au fond de toi, parce que ce pouvoir que tu ne contrôles pas pourrait te tuer si aisément. « Bitenfoudre, oui » Tu répètes en anglais, ricanant. Thundercock, ça rend bien, non ? Et ça ne laisse aucun doute sur l’autre dont tu hais le nom jusqu’à ne plus vouloir le prononcer. On t’a trop souvent désigné comme son héraut en oubliant le prénom que tu t’es fièrement choisi.

Tu es ravi que Malik ne t’engueule pas de lui voler des serviettes, ravi qu’il soit même d’accord que l’horreur sur votre écran ressemble en tout point à une fanfiction débile qu’on a tirée du fond de fanfiction.net – ou pire, wattpad, section RPF. Avec un sourire discret et l’envie de lui dire que c’est pas si pire, histoire de voir sa réaction, tu préfères lui causer de combien ton ancien crush avait des goûts de chiotte.
Apparemment, sur ce point aussi, vous vous entendez bien. Tu mastiques pour te donner une contenance et te concentrer sur ce que tu vas dire – éviter les pièges à l’oral c’est plus complexe qu’à l’écrit. Sale bête qui ne veut pas se faire attraper dans son incohérence et son désir stupide d’être au centre de l’attention tout le temps. « J’ai pas parlé de sortir. » Tu lèves les yeux au ciel, un sourire en coin plus adulte que ce que tu l’es disparaissant bien vite de ton visage.

On change. Tu reposes la nourriture, choppes ton verre, t’occupes les mains. « Disons que ça a été une douche froide de finir avec la figure de Régis et de le voir comme ça. » Et la carrure de Régis, et la voix de Regis… Heureusement, pas sa connerie – Jupiter dans sa grande mansuétude t’a épargné ça. « Ca dépend de qui définit le ‘con’, soulignes-tu. Par exemple, si c’est Raf ou toi ? La barre sera quand même vachement haute, pour la sélection. » Tu hausses les épaules, essuies tes doigts sur une serviette presque immaculée. « J’suis pas bégueule, mais c’est vrai que si je peux éviter de finir quelques temps avec une personne qui n’a pas de fantasme sur le connard de service… Ca m’arrange ? J’suis relativement con moi-même, je suis mal placé pour sortir avec un gars intelligent. Jle soûlerai trop vite. »

Tu es un peu nerveux d’en parler, parce qu’il y a des moments où des gens viennent te voir et t’offrent leur passion, leur amour irrésolu et non-retourné pour qu’en quelques heures sous l’action de ton passif leur fantasme puisse se réaliser. Tu ne dis pas toujours non – au fond, ces connards, tu es assez sous leur charme pour vouloir même cet ersatz de relation-là. Tu fais simplement semblant de pas entendre quand c’est pas ton nom qui sort de leurs lèvres. T’es clairement pas sûr de vouloir mentionner ce genre de détails à Malik : tu l’aimes bien et tu veux pas qu’il s’enfuie de la maison en hurlant. « Mais si la personne sait faire plus que compter deux par deux et lacer ses chaussures, ça m’arrangerait quand même je t’avoue. » Et avec cette référence merdique tu relèves les yeux vers l’écran et quelques minutes passent.

Mais franchement, c’est tellement nul….

« Mais pourquoi elle fait ça, elle ? Et lui, il a un nom ? C’est pas random figurant qui se balade ?Maliiiik, j’suis perdu, y a un sens à cette histoire ? » Tu pointes l’écran avec un air de chaton perdu, retenant à grand-peine une envie de rire. C’est vrai que c’est à chier, ce que vous regardez, mais tu veux le voir réagir.

On oublie peut-être un peu souvent que, sous ton apparence plus que juvénile et fragile, c’est presque vingt-quatre ans qui se planquent bien profondément. Tu pourrais épiloguer quinze ans sur ces années passées d’hiver en été, sombres moments lumineux, ce genre de choses qu’on trouve à la pelle dans les recoins sombres d’internet qui te demandent de chopper deux dictionnaires pour les comprendre. On oublie un peu souvent, trop aisément, que t’es grand et que tu fais tes propres choix. Ariel a beau se faire grand frère protecteur, Raf père de l’ombre contre sa volonté, t’as passé l’âge de te faire taper sur les doigts et d’en être encore aux petits bisous sur la joue dans la cour du lycée de Spear. C’est un peu la vibe que tu as quand les gens s’intéressent à ta vie : t’es trop mignon, tu dois être pur. Les seuls coups de coeur que tu as sont innocents, et comme une héroïne romantique tu te consumes d’amour sans pouvoir jamais profiter de ce noble amour.
Pas mal de fois, tu as juste eu envie de tirer un coup et tu t’es retrouvé unE autre.
Ca blesse.

« Raf est un petit peu… Extrême sur les bords, mais je l’aime beaucoup. Ca irait mieux pour son tempérament s’il s’assumait, mais bon. » Tu souris avec innocence pour cacher la crasse profondément incrustée en toi. Tu choppes une frite que tu grignotes en écoutant Malik parler, une grimace jouant sur tes lèvres. «Mais c’est immonde ce que tu me racontes, là ! J’espère que tu ne fais pas ça, Malik. Dans un semblant d’autorité que tu n’as pas – Jupiter aurait pu partager au moins ça – tu croises les bras, le bout de frite dépassant de tes lèvres rapidement avalé. Ca m ‘ennuierait d’aller dire à ton mec que tu sors avec pour te faire mousser ! Je suis sérieux ! J’suis dangereux comme ça. »
(Peut-être que tu fais ça pour l’entendre rire encore, parce que putain ton esprit aime ce son. Et sa voix. Et ses yeux. Et quand il te parle, même pour rien dire. Et pourquoi tu ne te changes pas ?)

Tu es plus perturbé que tu ne devrais l’être par le manque de transformation. T’as cette impression au fond de toi que ton corps devrait déjà plus t’appartenir, et face à lui t’es toujours toi. Tu pourrais t’interroger sur pourquoi ça te gêne tant que ça, plus tard.

Tu croises son regard et un soupçon de rougeur glisse sur tes joues trop pâles de le voir plein d’entrain et de cette joie sincère qui résonne dans ton salon silencieux. Tu penches la tête en te mordant la lèvre, les sourcils froncés. « Ah non mais tu penses qu’on va tout regarder ? Tu crois qu’une vraie personne a déjà tout regardé sans que son esprit ne se fasse la malle ? » Tu protestes juste pour la forme, faut avouer. Un grand sourire est sur tes lèvres quand tu ajoutes : « En vrai…. On peut se faire une soirée mensuelle comme ça, non ? Ca peut être fun, la soirée ironique Riverdale. » Tu tends la main et tapotes son épaule, heureux comme pas deux malgré l’angoisse coincée au fond de ta gorge, soulevée par ton coeur qui bondit un peu trop aisément vers Malik. « Puis comme ça je te verras plus souvent et j’pourrais te voir sourire et rire plus souvent aussi. Tu tentes même pas de justifier tout ça autrement que par : J’aime bien te voir heureux. Bon, ça te va bien aussi quand tu fais la gueule, la resting bitch face. Mais t’as un joli sourire. Et ton rire est magnifique aussi. »

Peut-être que faudrait que tu te taises à un moment, Patroclus, avant de trop t’enfoncer. Tu préfères te détourner et enfourner une nouvelle poignée de frites – froides – dans ta bouche, le tout te faisant un peu ressembler à un hamster. Magnifique.

«  Eh, je garde pas de registre de qui sort avec qui, tu sais ! Comment je pourrais savoir si t’as pas un mec dumdum aujourd’hui, auquel j’irais d’ailleurs immédiatement dire que tu te le tapes pour te faire mousser ? » tu tentes de te défendre sans grand talent, Patroclus. C’est vrai, tu ne gardes pas de registre, par contre tu laisses clairement traîner tes oreilles des fois qu’une de tes nombreuses attirances soit libre. On ne sait jamais, ça peut arriver. C’est déjà arrivé. Par respect pour Malik par contre tu n’as jamais trop cherché à en savoir sur ses prouesses amoureuses et/ou sexuelles : dans le premier cas, tu t’en fiches de savoir combien de coeurs il a brisé, dans le second cas, c’est potentiellement une manière de te gâcher la surprise si au détour d’un soir quelque chose se passait.
(Tu sais que tu peux rêver, Pat, mais des choses folles peuvent arriver. )

L’idée de la soirée mensuelle a fait son petit bout de chemin et a frappé tout juste : parfait ! Juste à l’idée de pouvoir être avec lui un soir tous les mois à te faire fondre le cerveau, tu te sens empli de joie et ton coeur s’emballe sans aucune raison. T’as cru établir que tu l’aimais pas plus d’une fois au cours de la foutue soirée, sinon tu serais déjà… Plus toi. Alors tu engueules ton myocarde déconnant au fond de toi et remballes les envies de le voir encore. Tu te contenteras d’être ami. Tu sauras le faire.

Peut-être que le flatter, c’était pas la meilleure des voies pour rester juste amis. Ou amis tout court, vu comment il le prend. Tu te sens infiniment con tandis que tu te bourres de frites en cachant derrière la couche de graisse et de sel tes dernières conneries. Tes yeux l’ont quitté, tu te concentres sur tes doigts pâles – quasiment luminescents dans la pénombre de la pièce, tu ne prends pas le soleil sans brûler – et sur tes bouchées. Mords ta lèvre au lieu de bouffer tes frites qui encombrent tes bajoues et que tu avales sans trop mâcher. Galère, mais faisable.
Tu voudrais parler, mais ça ne se fait pas la bouche pleine. Tu lèves un doigt pour dire à ton invité d’attendre, pointe ta bouche.

Il te faut quelques secondes avant d’avaler ce qu’il te reste, puis de reprendre la parole – t’essuyant les mains pourtant plutôt propres dans le chiffon qu’est devenu l’une des serviettes empruntées plus tôt dans la soirée. « Nan j’aime bien souffrir sur ça, je t’avoue, c’est quand même du bon niveau. Mais libre à toi de changer.... A la fin de l'épisode. » Tu appuies ta déclaration en hochant la tête et en lui tendant la télécommande – fort heureusement non-graisseuse. « Tu me dis, je te fais confiance pour te suivre dans les abysses de la créativité audiovisuelle. »

Vous êtes si proches que ton esprit commence à te glisser des idées connes au fond du cerveau. Ton corps ne bouge pas quand tu devrais te blottir contre lui et chercher son contact ; tes lèvres restent hermétiquement closes et loin des siennes ; tu ne sais pas quoi faire de tes mains, agrippées à tes pieds joints désormais pour te retenir de te rapprocher de lui parce que tu n’es pas sûr de ce que tu ressens, que ton coeur part en couilles et que merde, tu ne changes pas.

(Avec un peu de chance, si tu lui demandes, il ne fera pas le lien.)
Il te faut quelques minutes de silence devant l’écran où une scène à la colorimétrie de merde – encore – et aux dialogues nuls – encore – avec des acteurs qui s’emmerdent – encore – avant d’avoir le courage de demander d’une voix totalement désinvolte : « T’as quelqu’un dans le coeur actuellement ? »
C’est même plus mettre les pieds dans le plat, là, tu plonges tête la première dans la casserole. Mais t’as besoin de savoir.

T’en as pas grand-chose à foutre de Riverdale, pour être complètement honnête avec toi-même : s’il n’y avait pas Malik à côté, si c’était pas pour toi une bonne occasion d’exercer tes talents de communication avec une personne d’à peu près ton âge sans qu’elle ne te traite comme un jouet du désir ou comme un pauvre gamin perdu et innocent – certains en viennent à oublier que tu peux commander l’orage et les empêcher de dormir, les tremper, et, avec un peu de chance, les électrocuter. S’ils ne bougent pas trop et que t’arrives à faire tomber un éclair avant que l’orage ne t’emporte. Il y a peu de gens sur Spear qui te traitent comme un véritable ami. Un protégé, une connaissance, un gamin mignon à garder loin du vil monde, mais jamais un ami. T’arrives pas à te faire des amiEs qui te sortent de ce moule, t’arrives pas à lier des liens où l’on te voit comme tu es vraiment. T’as tellement envie de plaire que tu te laisses aller à ce que les autres voient de toi sans t’affirmer comme Patroclus.
C’est con, mais c’est comme ça.
Et Malik, lui, t’apprécies sans vouloir te protéger : il est un peu comme ta meilleure amie sous certains aspects, à ne pas te ménager et à t’envoyer chier quand il le faut. Et comme pour celle qui a su gagner sa place dans ton coeur, t’as le tien qui chavire et fait de la merde à chaque fois que tu le vois – ce soir, c’est pas vraiment la première fois.

D’où ta question qui résonne dans le silence relatif de la pièce, comme une immense perche que tu lui tends pour essayer de savoir ce que toi, tu ressens. Tu sais que dans ta cage thoracique ça déconne durant l’éternité du silence entre ton interrogation et sa réponse ; ton palpitant furieux se jette dans tous les sens contre tes os à t’en faire mal, ton sang si lourd dans tes veines a du mal à circuler et ta tête légère te hurle parmi le brouillard que putain, c’était pas une bonne idée.

Il dit ouais.
Et tout s’arrête.

D’un coup on coupe la lumière, tombe les étoiles, s’abat la guillotine. Sa réponse en lame, ton espoir décapité avant de grandir convulse et se vide de son sang, tâchant des fantasmes qui n’ont jamais pu fleurir – et c’est tant mieux.

La déception qui s’affiche sur tes traits bataille avec la confusion de ton pouvoir qui pourtant ne se trompe jamais. Tu grattes ta joue, lâche un « M’kay, sortez couverts. » pathétique pour cacher l’envie que t’as d’aller hurler ne me mens pas, je ne change pas et tu te concentres sur les images défilant à l’écran. T’as qu’une envie présentement, te rouler en boule et du bout des ongles gratter jusqu’au sang cette peau qui pour une fois est la tienne et dont tu ne comprends pas qu’elle reste si pâle, arracher ces cheveux que nerveusement tu coiffes de tes doigts en te demandant pourquoi ils sont toujours là, faire saigner ces lèvres jusqu’à ce qu’elles gonflent, changer ces yeux qui ne voient plus déjà à cause de la violence de ton pouvoir qui déconne. Vraiment ?

Tu essayes de forcer ton passif à se déclencher. Ta vision est floutée par la concentration que tu y mets, tes oreilles entendent à peine et si tu reconnais que des sons te sont parvenus tu n’arrives pas à comprendre ce que Malik t’a dit. « Oookay. » tu dis juste, tes doigts accrochés à tes chevilles si fort que tu pourrais en saigner. T’as trop mal au coeur pour que ça ne soit rien – tu t’es changé devant ton supérieur mais pas devant Malik ? Tu es si pathétique que ton passif déconne à ce point ?

Dans un silence presque gênant, le film commence. Tu as mal au coeur et mal au coeur – la nausée te guette et t’as le palpitant en miettes. Tu hurles au fond de ta tête et te forces à faire la gueule devant ce que tu vois, finissant pas arrêter de tirer sur un pouvoir qui est visiblement hors-service. « C’est encore plus nul qu’avant ! Comment t’as su ? Tu l’as déjà vu ? »
Vous pouvez être amis, qui sait ? Si tu le regardes pas, si vous ne vous voyez qu’une fois par mois, vous pouvez être amis.

Tu as un rire sans joie en entendant Malik. Ouais, t’as pas forcément tapé au bon endroit de leur relation : un peu trop loin, trop haut sans doute. Tu te prends d’un coup l’envie de la réduire en cendres alors qu’elle n’est même pas entamée. Avorter dans l’oeuf quelque chose qui n’a même pas d’existence conjointe, qui n’est pour l’heure logée que dans le coeur de l’un. Parce que si ça meurt, alors peut-être ton propre ressenti crèvera avec. Du moins t’espères. Foutu espoir niché entre deux côtes qui recolle vaillamment ton crush meurtri, tente de relancer ton pouvoir catastrophique. T’as un rire sans joie à cause de lui, en entendant Malik. « C’est sûr, toi, tu peux te permettre de cacher ce genre de trucs. T’as du bol. » La malédiction qui fait doucement pourrir ton corps, tu t’en plains bien souvent.
(Tu t’en plaindrais moins, Patroclus, si tu n’aimais pas tant.) Avec quelques gestes vagues du bout des doigts – comme pour appuyer tes propos – tu continues sur ta lancée. « J’veux dire, quand t’es avec lui, t’as pas à te mettre à paniquer de te retrouver affublé d’un 90C et de tresses roses et violettes. Ou de te mettre à parler avec une voix qui ressemble à la voix d’un canard. Et t’as pas non plus à paniquer qu’il devine que t’as des envies si t’es pas encore prêt. »

A l’inverse, tu peux ne jamais changer. Zeus peut se tromper, comme ce soir, se taire. Te laissant, toi, dans un désarroi total quant à la douleur qui embrase ta poitrine à chaque fois qu’il rit, qu’il te parle – même pour se moquer du film, pour te dire n’importe quoi -, qu’il te lance un regard d’un quart de secondes. (Et toujours tu restes toi, et toujours rien ne s’active en toi. T’es cassé. Tu flippes. )

Tu finis par descendre du canapé au bout de quelques minutes pour t’allonger sur le ventre sur le tapis, la tête levée vers l’écran où tout va de mal en pis. On ne parle pas ici du scénario (qu’est-ce qu’on s’en fout) mais bien de l’horreur du film. Tu vas passer plus d’une bonne partie de celui-ci dans cette position, d’ailleurs. Silencieux, à chouiner et à ricaner devant tant de merde étalée sur ton écran, tout en ignorant du mieux que tu peux le problème derrière toi : Malik . « Tu crois que les acteurs regrettent de jouer dans ce genre de trucs, ou qu’ils prennent leur pied ? Si ça se trouve, ils sont complètement pétés à chaque fois. » tu dis, alors que tu te retournes pour sourire à ton invité du soir.

qu’est-ce que je fous là, déjà répétés encore et encore dans chaque geste des acteurs. Un supplice terrible et terrifiant, un peu masochiste sur les bords – ça se couplait terriblement bien avec ta tentative désespérée à tirer de toutes tes forces sur le filin doré qui agaçait ton pouvoir, cherchant à t’empêcher de sombrer dans la tristesse et la déception où t’avais prévu d’te noyer. Tu as toujours eu ce besoin maladif d’être vu et apprécié des autres au même niveau que toi, tu les appréciais : que ton corps te trahisse comme ça (dans le mauvais sens, en plus ! ) est tout bonnement ridicule lorsque l’on connaît ton passif avec ton passif.

Tu bouffes ta lèvre inférieur et hoches la tête. Autant lui laisser croire que de pas se faire comprendre est une plaie aussi grande que ton fardeau. T’en fais à peine un peu trop. La prochaine fois, il a qu’à finir à poil avec les traits du second cousin du mec qu’il drague, ça lui fera comprendre la douleur et l’incompréhension que peuvent provoquer les amours insolites. Cette mésaventure t’es déjà arrivée une fois ou deux, deux fois de trop de toute manière.

Le contact du tapis sous toi, un peu plus épais que ce à quoi tu t’attendais, te permet de concentrer ton corps sur la sensation et sur le film sous tes yeux plutôt que sur Malik et le filin relié à ton don que tu vas finir par user à force de t’exténuer dessus. Et tu sais que tu n’as aucune main dessus et tu tentes, encore et encore. Au moins, ça te distrait, à défaut du film. « Peut-être que certains y croient, concèdes-tu avec un geste vers l’écran et une grimace consternée. Mais personnellement, ça ne marche pas. Ca a pas du passer par les salles, ça. C’est trop mauvais pour ça. C’est pas comme… Twilight, qui a eu du succès et qu’on regrette ensuite. Là c’est vraiment nul, je comprends pas comment on peut s’infliger ça… Enfin bon. »

Tu tournes un peu et cherches ton verre, te redresse comme tu peux pour le finir avec intérêt. C’est bien mieux que ce que t’as à l’écran, pas vrai ? « Je suis pas sûr que l’un ou l’autre soit dans le placard. Du moins, tu tempères ta réponse en manquant de t’étouffer sur ta fin de coca, pas gays. A la limite bi, ou un truc comme pan, tu vois. Tu veux parier quoi ? J’ai l’habitude de tenir les paris, fais gaffe, j’oublierai pas. »

« J’aimais bien Twilight. » avoues-tu sans trop avoir honte. A l’époque de la sortie, tu étais encore un enfant enfermé dans un rôle qui ne t’allait pas. T’avais des parents absents, des demi-adelphes aux rôles évasifs, t’étais seul et t’étais une merde qui cherchait tout pour l’approbation de quelqu’un – et si aujourd’hui le schéma est le même,  tu l’as adapté pour ne plus te sentir si misérable lorsque les attentions se détournent de ton insignifiante personne. Twilight a été une ouverture sur une littérature un peu débile, pas franchement bonne, clairement trop mauvaise pour être intéressante… Mais tu n’avais pas accroché aux tendances précédentes, et tu n’accrocherais pas à ce qui viendrait ensuite.
« On m’a déjà fait la morale, je te rappelle que Raf passe un peu trop souvent ici. Il a vu que j’avais gardé mes éditions et il m’a passé un sacré savon. » Tu lèves les yeux au ciel avec un soupir léger, haussant les épaules. « On a tous aimé un jour quelque chose qui s’est avéré nul. On peut aimer le carnage en lui-même ou avoir un intérêt simple pour l’histoire sans arrière-pensée. C’était débile et fade mais j’ai apprécié le lire parce que ça me permettait de poser mon cerveau. J’ai même… Non, ne fuis pas, un sourire amusé étire tes lèvres parfois en sang à force de les bouffer, j’ai Breaking Dawn dédicacé par Stephenie Meyer, d’accord ? Tu comptes annuler nos futurs visionnages ? »

Tu pars d’un éclat de rire qui te secoue en entier, quinte de toux sur la fin lorsque l’air t’étrangle dans ta trachée. Au pire, s’il te fuit pour les bouquins que tu ne lis plus mais qui restent dans ta bibliothèque par amour d’un passé autrement oublié, t’auras beaucoup moins d’occasions de chercher à comprendre en quoi il arrive à faire déconner tes pouvoirs.

« Tu sais que t’as moins de chance d’un coming-out bi que d’un coming-out gay ? » L’information te revient comme ça. Tu lis des articles ici et là, et quelquefois les informations s’impriment dans ta petite caboche cabossée. L’info repartira dans deux semaines, tout au plus, passant dans les trous de cette passoire fuyante qu’est ton esprit. « Je fais ça pour la science… dis-tu avec un air malicieux, retenant un autre rire (par peur d’à nouveau finir par cracher tes poumons sur tes pieds) Je prends ce que t’as. Oh, je sais ! Tu pourrais m’accompagner hors de Spearton ? Je sors jamais, et du coup… Euh… » Tes doigts se joignent et tu tournes tes pouces pour focaliser ton esprit sur autre chose que ta demande. C’est vrai qu’en dix ans, tu n’as mis le pied dehors que trois fois, et chaque sortie s’est soldée par un passage à l’hôpital. « J’aimerais bien retourner à New York voir une boutique ou deux, je sais qu’elles sont encore ouvertes et la livraison ici… Voilà. Mais quand je sors seul, au mieux j’fais pleuvoir et ça déluge, au pire mes dons m’échappent totalement et je me transforme trois fois à peine le pied dehors. C’est pas gérable, tout seul. »

Cherche des excuses pour passer plus de temps avec lui. Heureusement que t’es une catastrophe ambulante. « Je peux te proposer Twilight dédicacé du coup ! » Tu pouffes avant de dessiner quelques arabesques sur le tapis. « Un an de ménage gratos, tu veux ? Des emballages de papier cadeau nickel pour les anniversaires où tu te rends ? Ou de la bouffe ? Une pipe ? Ou je peux faire pleuvoir sur les cons, mais ça demande un peu de concentration quand même. »