Sour Candy [Wolf & Nini]

Lundi matin, l'Empereur, sa femme et le p'tit princeuh... Vous connaissez la chanson ? Bah Wolfy aussi, apparemment. Il avait comme excuse que le Pandora, lieu de travail et de vie, n'était pas loin de la confiserie de Ninian pour y passer régulièrement. Très régulièrement. Genre, tous les jours depuis deux bonnes semaines, en fait.

Plutôt que de venir le matin comme la famille impériale, le musicien se pointait généralement vers 15h, moment où les gamins étaient partis en cours, et que les parents n'avaient pas fini de bosser. C'était aussi à peu près l'heure de son petit-déjeuner, et non, malgré ce qu'il achetait au confiseur bougon, il ne se nourrissait pas exclusivement de caramels et de guimauves.

Ce jeudi-là ne fit donc pas exception : Wolfgang entra avec un énorme sourire charmeur sur le visage, et prit bien tout son temps pour observer les confiseries qui n'avaient pourtant pas drastiquement changé depuis la veille. Non, ce qu'il observait, c'était surtout le maître des lieux. Il était venu la première fois dans la boutique à moitié par curiosité et à moitié pour avoir une bonne dose de sucre de qualität travaillé par un professionnel, mais il était revenu en espérant pouvoir papoter avec l'artisan et peut-être apprendre à le connaître ? Hélas. Même un rocher (chocolat noisette) serait plus causant. Se disant que c'était sûrement passager, Wolfgang était revenu le jour d'après, et puis encore après et il se trouvait comme coincé dans une boucle infinie. Plus le temps passait, et moins il savait comment lancer un semblant de conversation.

— Bon, qu'est-ce que je n'ai pas encore essayé dans la boutique...

Il restait quoi en vrai ? Même les réglisses salées, il en avait pris (et c'était pas bon, sauf dans la vodka)... Se perdant dans les rayonnages, Wolfy essayait de se persuader qu'il n'était pas en train de gagner du temps.

Spear Island est fantastique. On pouvait y vivre depuis des années, avoir croisé les créatures et les pouvoirs les plus improbables, on pouvait quand même se faire surprendre au détour d’un achat de confiserie par un piaf qui parlait. Et il avait pas sa langue dans sa poche.

Wolfy resta comme un con après que Iago (puisque c’était son nom, bien choisi d’ailleurs), l’ait rabroué pour son comportement franchement pas subtil. Il dut se secouer (littéralement) pour pouvoir répondre au joli confiseur qui s’excusait.

— Oh, oh non ne vous inquiétez pas, il ne m’a rien dit qui ne soit pas vrai. Enfin je pense. Vous devriez l’embaucher comme assistant, d’ailleurs. Il a le contact commercial !

Le contact commercial, qu’est-ce qu’il fallait pas entendre ! Wolfgang se tança intérieurement, faisant tout pour que sa perplexité et la honte d’avoir été pris en flagrant délit ne se voient pas trop. Peine perdue : il avait le rose aux joues maintenant. Il décida néanmoins de faire comme si ce n’était pas le cas. Si on ignorait quelque chose suffisamment longtemps, ça disparaissait, non ?

— Je voulais savoir si euh…

Mais bordel il le connaissait pas en fait : ils allaient parler de quoi s’il l’invitait à boire un verre ? Sous réserve qu’il accepte, en plus !? Comment on faisait du smalltalk déjà ? Toutes les phrases qui venaient à l’esprit de Wolfgang étaient cringes au possible, ça n’allait vraiment pas le faire.

— … s’il vous restait des guimauves à la menthe… Vous en faites encore à la rose ?

Repli stratégique. Wolfgang n’avait pas dit son dernier mot, et en jetant un coup d’œil inquiet à Iago, il enchaîna en essayant d’avoir l’air le plus chillax possible :

— Je suis le patron du Pandora, et je me disais que si ça vous disait, je pourrais vous offrir un verre ou deux. Ou on peut aller au café juste à côté, leurs croissants sont aussi bons qu’à Paris ! Ou un restaurant…

C’était pas beau à voir. Il en avait conscience. Il n’avait pas galéré comme ça depuis son adolescence, principalement parce qu’il avait toujours joué à domicile. Les gens venaient le voir, pas l’inverse, ou alors ça se passait au Pandora et donc il y avait déjà un terrain d’entente. Là, il jouait en mode difficile.

— Ou rien du tout bien sûr.

S’il se prenait un vent, c’est sûr, il achèterait ses prochains bonbons par correspondance. Toujours chez Ninian, par contre, parce que vraiment, ses guimauves étaient à tomber par terre.

Wolfy se prépare mentalement à prendre un râteau monumental. Le bouclier est levé, parce que c’est bien normal que le confiseur l’envoie bouler. Qui vient draguer quelqu’un sur son lieu de travail, sérieux ? Le pauvre, il est là, chill, à faire des guimauves et y a Wolfy McDouche qui pense que son sourire est autre chose que commercial ! Bon, ce serait vrai si Ninian souriait parfois… Wolfgang est donc là, immobile, cœur battant, attendant que le couperet tombe.

Et c’est le sol qui se dérobe sous ses pieds. Heureusement, toujours aussi métaphoriquement, mais il lui faut un temps certain pour comprendre ce que venait de dire Ninian. Pourtant la traduction fonctionnait encore hein… Wolfgang cligna des yeux, regardant le confiseur avec ses meilleurs yeux de merlan frit. Il le regarda quitter la boutique pour aller chercher quelque chose dans la réserve, et revenir avec une nouveauté.

— Oh je suis flatté… !

Il avait retrouvé sa voix, c’était déjà ça. Un peu maladroitement, il tendit la main pour prendre un morceau et le goûter. Il n’a même pas besoin de surjouer :

— C’est trop bon ! Ouais on dirait un After eight mais plus… mœlleux et croquant à la fois. J’adore !

Wolfy lui sourit encore plus niaisement quand il réalisa que pour une fois, le confiseur était un peu moins commercial que d’habitude.

— Wolfgang, mais tout le monde m’appelle Wolfy.

Bon, la suite était un peu moins reluisante, et Wolfgang ne put s’empêcher de grimacer en détournant le regard.

— Ah… oui il est fort probable que ce soit les miens. Désolé…

Oh, ça ne l’empêcherait pas de continuer son commerce, parce qu’il fallait bien qu’on se défoule un peu sur cette île ! Les gens deviendraient fous s’ils n’avaient pas une échappatoire, ne serait-ce que pour quelques heures. Tout le monde n’appréciait pas, et Wolfy imaginait bien mal Ninian se déhancher sur la piste, même si, à bien y réfléchir, ça ne le dérangerait pas le moins du monde comme spectacle…

— Ah euh du coup, oui j’ai le temps pour un café.

Il était rare que Wolfy arrive en retard au taff, mais pour que ça arrive, il faudrait vraiment qu’ils papotent des heures autour du café. Et quand bien même ça arrivait, personne n’en tiendrait rigueur au patron, qui était du genre à décompter minutieusement ses congés et ses heures supplémentaires - tout comme pour ses employés - et qui ajustait toujours la paie en fonction. Wolfy avait trop peur qu’on dise qu’il était un mauvais patron qu’il évitait à tout prix d’en être un.

C'est vrai que la confiserie test était bien riche en menthe, mais ça n'avait pas gêné Wolfgang. Il tilta seulement quand Ninian en parla, et hocha doucement la tête pour lui donner raison.

- Ouais c'était un peu fort mais ça passe encore. Par contre je suis pas convaincu par les feuilles de menthe fraîche...

Ca donnerait pas l'impression de bouffer de la salade au lieu d'un bonbon ? Wolfy n'alla pas jusqu'au bout de sa pensée, faisant confiance au confiseur. C'était son métier après tout, pas le sien. Le sien, c'était d'amuser les gens jusque tard dans la nuit, où ils se déversaient en horde alcoolisées pour aller faire chier le voisinage, apparemment.

- Comment ça tu dors pas ? T'es insomniaque ?

Wolfy aurait dû être habitué à Spear Island et au fait que chacun avait sa petite particularité de laquelle il ne voulait pas spécialement parler, mais là il avait décidé de mettre les pieds dans le plat. Apparemment, c'était quelque chose qui fonctionnait avec le confiseur.

Ce dernier le poussa gentiment dehors et ferma la boutique à clé, signe qu'il était bien sérieux quand il suggérait d'aller boire un café. Même si c'était ce qu'avait attendu Wolfgang pendant des jours, là ça devenait bien trop réel, c'en était effrayant. Le grand dadais avait beau avoir connu d'autres aventures avant Ninian, il ne se jugeait pas expérimenté au point de ne pas avoir le trac. Reste naturel, se répétait-il, mais et si Ninian n'aimait pas son naturel ? Ou qu'il était trop naturel ?

Il fut sorti de ses pensées par Iago qui fit ses dernières recommandations en bon papa poule, avant de les laisser tranquille, intimant de baffer Nini s'il devait être trop 'rustre' :

- Oh, je ne suis pas sûr que ça me déplaise, tu sais.

C'était sorti tout seul, avec un petit sourire en guise de ponctuation. Ce n'était qu'une blague, bien sûr, mais Wolfy s'étonna lui-même de l'aplomb avec lequel il l'avait formulée. Heureusement, ça ne les empêcha pas de faire un peu de small talk sur la route, avant de se trouver un endroit où se poser.

- Alors euh... du coup, comment t'en es venu à être confiseur ? C'est pas commun comme métier !

Oui bon pas ouf mais fallait bien commencer quelque part. Et puis, Wolfy était vraiment admiratif de Ninian, qui faisait de merveilleuses choses avec ses petites mains. Il devait avouer qu'il avait un peu hâte de voir jusqu'où...